Cela se passe cet après-midi. Par le plus grand des hasards, et une petite pincée de chance, je me retrouve assis en face de quelqu'un qui, pour une fois, n'est pas une personne “ qui n'y peut rien ”, “ qui suit les consignes ”, “ qui va aller voir dans l'informatique ”, bref un de ces quelques uns qui veulent bien tout, sauf prendre la moindre initiative, ou le moindre risque. Nous mourons tous de cette peur qui étrangle la plus lueur d'imagination.
Merveilleuse occasion de parler de ce qui se passe en ce moment dans le milieu de l'auto-école, ce mouvement des moniteurs qui veulent enfin tenter d'être maitres de leur travail et de leur vie professionnelle.
Que veulent-ils ?
Pouvoir enseigner librement, à des élèves qui les choisissent, qui peuvent les quitter librement, et qu'ils pourront quitter tout aussi librement. En un mot, mettre un terme au monopole de fait des auto-écoles, qui tient à deux choses : agrément préfectoral et attribution des places d'examen.
A quoi sert cet agrément préfectoral ? A garantir la qualité, entre autres des locaux, et à interdire que les cours soient dispensés dans des lieux inadéquats – il y a incompatibilité, par exemple, entre Licence IV et auto-école... Ce qui n'empêche pas que, dans de nombreux cas, il n'y ait pas encore de séparation physique entre “ salle de cours ” et bureau d'accueil des visiteurs, que les locaux ne disposent pas de toilettes, ou que les “ salles de cours ” soient mal éclairées ou mal aérées.
Qu'importe, me direz-vous, ces fameuses “ salles de cours ” ne sont que des salles de projection où tournent en boucle les vidéos de séries de 40 questions à correction automatique qui sont censées assurer l'enseignement du code de la route. De plus, et de l'aveu même des “ exploitants ”, les forfaits-code sont une source non négligeable de revenus liés à de faibles dépenses, puisqu'on n'immobilise pas d'enseignant dans la salle pendant que tourne la vidéo. Et c'est pourquoi il n'est pas question de laisser l'Éducation nationale s'emparer de cet enseignement.
Qu'on ne vienne pas alors nous parler de qualité pédagogique et d'investissement dans les méthodes d'enseignement dans de telles conditions.
Pour notre part, nous réclamons que soit appliquée la loi : véritable enseignement, et de qualité, et par des professionnels diplômés, tout simplement.
Et les places d'examen ?
Elles sont attribuées, non aux candidats, mais aux auto-écoles (suivre ce lien, tout à fait significatif). C'est ainsi que ce sont elles qui décident, sans le moindre contrôle, qui peut, ou qui ne peut pas aller passer l'examen théorique ou pratique. Cela leur permet de choisir, sur des critères qui restent aussi inconnus qu'invérifiables, leurs candidats.
On pourrait s'en féliciter. N'iront ainsi à l'examen que les bons éléments, voire les meilleurs, avec des résultats garantis. Et ce n'est pourtant pas le cas puisque les résultats oscillent, suivant les modes de formation et les profils socio-économiques des élèves, de 25% à 75% de chances de réussite à l'examen pratique à la première tentative. C'est à dire que les auto-école, compétentes en tout, peuvent se tromper sur la qualité et l'efficacité de leur enseignement dans les trois-quarts des cas.
Cette situation est incompréhensible en apparence seulement. Car si les élèves acceptent sans trop protester de faire les 20 heures de leçons obligatoires, c'est parfois pour eux un véritable sacrifice (financier ou personnel) d'avoir à faire plus, et, dès la 25ème heure, ils font le siège “ pour avoir une place ”. Et l'auto-école passe une partie de son temps à gérer les états d'âme des élèves, et à distribuer des places d'examen toujours trop rares à des candidats qui veulent aller “ tenter leur chance ”.
Si les places d'examen étaient données au candidat, les choses seraient infiniment plus simples.
A l'inscription (directe) des candidats, on propose deux ou trois délais pour les épreuves théorique et pratique (6 mois, 9 mois ou 12 mois, ou autre pour l'AAC). Dans un délai d'un mois, après les tests pratique et théorique nécessaires auprès d'un professionnel (auto-école ou pas), les dates de passage sont confirmées. C'est ainsi l'élève qui devient responsable du bon déroulement des opérations, de son calendrier, de son travail, de sa progression.
Et comme l'auto-école n'a plus de moyen de pression sur ses élèves (et réciproquement), elle peut se consacrer à l'enseignement. Elle peut aussi refuser des élèves, en accueillir d'autres établissements, faire passer des examens blancs aux élèves des collègues sans entrer en concurrence avec eux, et les moniteurs qui veulent enseigner librement peuvent aussi offrir leurs services hors de la situation de salarié d'un établissement agréé.
Bien entendu, ce système a des défauts, le premier étant qu'il soit nouveau, et donc qu'il oblige à se remettre en cause. Si on en juge par le discours habituel des auto-écoles, ce n'est pas chose facile. De plus, il fait craindre une perte de contrôle qu'exercent ensemble administration et auto-écoles sur un système dont tout le monde dit le plus grand mal, mais qui protège trop d'intérêts de de situations acquises. Cela ne marche pas, personne n'est content, mais les élèves, plus tard, oublient de quelle façon ils ont été traités, parfois rançonnés, et même humiliés.
Bref, il y a encore du travail à faire, et des gens à convaincre. A commencer par les premiers intéressés, ces moniteurs qui, au bout de cinq années d'exercice, vont chercher ailleurs un autre travail. Il est vrai qu'au SMIC, ou à peine plus, contraints aux heures supplémentaires et au travail au noir, il est bien difficile, même si on aime son métier, de croire en l'avenir.
C'est pourtant notre cas.